Crise sanitaire oblige, les Français ont plébiscité des vacances proches de chez eux cet été. La Bretagne tire son épingle du jeu, en s’imposant comme la seconde destination préférée des habitants de l’Hexagone. Une bonne nouvelle qui ne doit pas masquer l’inquiétante santé des centres-villes bretons, frappés par un « taux de vacance commerciale » particulièrement élevé. La faute aux grandes surfaces de périphérie, à l’e-commerce et aux décisions parfois contestables de certaines entreprises locales.
Gestes barrières maintenus, restrictions de déplacement, craintes d’une seconde vague estivale… Les vacances qui s’achèvent n’ont, pour beaucoup de Français, ressemblé à aucune autre. Et, en dépit de la levée progressive, fin juin, des mesures visant à restreindre les voyages sur et en dehors du territoire hexagonal, beaucoup de Français ont tout simplement renoncé à partir en vacances : ils n’étaient ainsi, selon un sondage OpinionWay, que 44 % à prévoir de s’accorder quelques jours de repos, contre 66 % l’année dernière. Parmi ceux-ci, 71 % déclaraient vouloir rester dans leur pays au cours de l’été, près de neuf sondés sur dix (86 %) estimant que l’économie locale avait davantage besoin de soutien que les compagnies aériennes.
Les professionnels du tourisme satisfaits, mais inquiets
Dont acte. Selon un autre sondage réalisé pour les treize comités régionaux du tourisme (CRT), 86 % des Français interrogés ont décidé de séjourner en France cet été, contre 75 % l’année précédente. Et ils sont près d’une moitié (43 %) à privilégier le littoral pour leurs vacances. C’est donc sans surprise que la Bretagne s’est imposée, à l’heure de dresser le bilan de cette saison estivale pas comme les autres, comme la seconde destination préférée des Français — juste derrière la Nouvelle-Aquitaine et devant l’Occitanie. « C’est une bonne nouvelle pour notre économie et une preuve supplémentaire que notre région est une destination plébiscitée par les Français », s’est ainsi réjoui le président du conseil régional, Loïg Chesnais-Girard.
L’édile ne fait que relayer l’enthousiasme qui prédomine chez les professionnels du tourisme, dont plus de quatre sur cinq se disent « satisfaits », voire « très satisfaits » de leur saison, selon le CRT de Bretagne. Avec 54 millions de nuitées réservées en juillet et août, la région enregistre en effet des résultats comparables à ceux de l’année dernière ; une prouesse, en pleine crise sanitaire. Et ce sont bien les vacanciers français, qui représentaient 84 % des touristes, dont la présence en Bretagne est venue compenser l’absence des clientèles étrangères habituelles. Mais les acteurs bretons du secteur se gardent bien de crier victoire : dans la région, 60 % des professionnels du tourisme se déclarent ainsi inquiets quant à l’avenir de leur secteur à moyen terme…
Les centres-villes bretons à la peine
La reprise de l’épidémie de Covid-19 pourrait bien renforcer leurs inquiétudes. Mais pas seulement : d’autres facteurs à l’œuvre depuis de longues années contribuent à la désertification de la Bretagne, qui ne peut compter sur les seuls vacanciers et mois d’été pour assurer son dynamisme à long terme. Beaucoup de centres-villes bretons sont en effet à la peine, comme en témoigne l’évolution, inquiétante, du « taux de vacance commerciale » de certaines communes, c’est-à-dire la proportion de locaux commerciaux vides. En Bretagne, celle-ci a augmenté, au cours des quinze dernières années, de plus de 4 % en moyenne — alors que la population bretonne a, de son côté, augmenté de moitié en moins d’un siècle.
Certaines villes sont plus touchées que d’autres par le phénomène, comme Saint-Brieuc et Saint-Nazaire (perte de plus de 15 % de commerces en quinze ans), Landerneau, Lannion, Morlaix et Quimper (entre 10 % et 15 % de perte), Brest, Châteaubriant ou Lorient (entre 7,5 % et 10 %). Une tendance qui se traduit dans les — mauvais — chiffres de l’emploi : « entre 2009 et 2015, le nombre d’emplois dans le commerce de proximité recule dans l’ensemble des centres-villes » des 32 communes de taille moyenne étudiées en Bretagne par l’Insee. Alors que huit salariés du commerce de proximité sur dix se répartissent entre les secteurs de l’équipement à la personne, de la restauration et des débits de boisson, du commerce alimentaire, et des agences bancaires et immobilières, les centres-villes bretons souffrent, comme tous les autres en France, de la concurrence féroce des zones commerciales périphériques et du développement exponentiel du e-commerce.
Fuite bancaire
Certains acteurs bancaires ont par ailleurs contribué à aggraver cette désertification latente des centres-villes. C’est notamment le cas du Crédit Mutuel Arkéa qui, sous la direction de Jean-Pierre Denis (en retrait depuis l’échec de son projet d’indépendance) et de Ronan Le Moal (lui aussi parti, en début d’année), se faisait en effet fort de s’imposer comme « l’Amazon de la banque ». Une stratégie « tout numérique » dont ont d’abord été victimes les agences physiques de l’établissement, plusieurs dizaines d’entre elles ayant récemment mis la clé sous la porte, ce qui a conduit, selon les syndicats maison, à plus de 100 suppressions d’emplois.
Ou quand « la logique bancaire (prend) le dessus au mépris du service à la population », regrette le maire de la commune de Serrent, où le Crédit Mutuel Arkéa n’a plus d’agence depuis 2017. Cette tendance n’est, hélas, pas prête de s’arrêter, si l’on en croit les derniers chiffres publiés cet été par la Banque de France, selon lesquels les établissements français ont supprimé plus de 2 100 distributeurs de billets en un an. Soit une baisse de 4,1 % en douze mois. Une fatalité ? Pas toujours, à condition d’avoir les idées larges, comme dans la commune bretonne de Locmaria-Plouzané, où l’on a remplacé l’agence fermée par le Crédit Mutuel Arkéa par un distributeur géré par une entreprise de transport de fonds…