C’est un secret de Polichinelle, la crise sanitaire a sensiblement impacté la santé mentale des Français. Toutefois, la pandémie a également remis en question la capacité des collectivités à accompagner les gens efficacement et durablement sur le plan psychologique. Face à cette équation épineuse – Rachel Bocher, Cheffe du service de psychiatrie du CHU de Nantes et commissaire scientifique du récent Colloque International Ville et Santé Mentale (toujours à Nantes) – revient pour Cityramag sur le rôle déterminant des politiques locales en la matière.
Cityramag : La crise sanitaire a mis en lumière une certaine faillite des politiques publiques dans la prise en charge des troubles psychiques qui ont prospéré au sein de la population. Pouvez-vous nous en dire plus s’il vous plaît ?
Rachel Bocher : La santé mentale est le socle du bien-être individuel mais aussi le fondement d’un bon fonctionnement collectif, d’où le rôle crucial des collectivités sur le plan de l’accompagnement psychologique de toutes les populations. C’est un fait, le confinement a engendré des conséquences dramatiques sur les enfants, les adolescents et les adultes, hormis peut-être sur les malades mentaux qui sortaient déjà peu. Aujourd’hui, les chiffres de CoviPrev confirment que les Français présentent un taux d’anxiété de 27%, un taux d’état dépressif de 18% (+3 par rapport à 2019) et des troubles du sommeil à hauteur de 71% (47 en 2017 et 61 lors du premier confinement).
Une augmentation de 20 à 30% des troubles psychologiques chez les jeunes
Les indicateurs principaux de la santé mentale dans l’Hexagone sont donc alarmants et influent logiquement sur le taux de satisfaction de vie des gens, qui est en baisse de 3% par rapport à 2019. Bien sûr, la pandémie Covid-19 a joué un rôle central dans cette problématique mais la crise énergétique, les tensions géopolitiques et la forte inflation ne sont pas en reste. Et cela se ressent particulièrement chez les jeunes chez qui on recence une augmentation de 20 à 30% des troubles (anxiété, dépression, tentatives de suicide notamment).
Des séquelles qui ne s’estompent pas
La triple peine (difficultés financières/cursus d’études hachés/manque significatif d’interactions sociales durant le confinement) a en effet laissé des séquelles ainsi qu’un malaise palpables qui ne s’estompent pas. Il faut savoir que les doutes sont très présents chez ces adolescents et jeunes adultes en quête d’identité, d’authenticité et d’éthique de genre. A Nantes, on note d’ailleurs que presque un tiers des passages aux urgences concerne cette population actuellement.
Etablir des parcours de vie dans la ville
Cityramag : Quelles sont les pistes de réflexion amorcées par le Colloque International Ville et Santé Mentale pour réguler les politiques locales en matière d’accompagnement psychologique ?
R. B : Aujourd’hui les villes concentrent 55% de la population et ce chiffre passera même à plus de 80% en 2050. Cette densité dans les zones urbaines, sujettes parallèlement aux pollutions atmosphériques et sonores, aura de facto des répercussions sur la santé mentale et physique des citadins. La question de l’architecture et de l’aménagement est donc primordiale. Il n’existe pas de ville idéale comme il n’existe pas de campagne idéale pour une bonne santé mentale collective. Par contre, il existe de bons diagnostics permettant d’établir des parcours de vie dans la ville.
Comment ? En favorisant l’accessibilité aux services publics (et de santé), aux transports, à l’éducation, à une culture pour tous, aux espaces verts, mais aussi à davantage de lieux de rencontre et de convivialité qui ont manqué durant le Covid, à l’image des maisons des adolescents qui existent déjà dans certaines villes. Ce sont des maisons psycho-sociales où des professionnels et des bénévoles (psychologues, infirmières, éducateurs, travailleurs sociaux, etc) peuvent leur proposer un soutien, une écoute et une aide juridique et sociale destinés à façonner ces parcours de vie.
Un travail d’élus engagés en concertation avec les citoyens
Cityramag : Le mieux-vivre ensemble rime donc avec politiques locales, respect et démocratie participative ?
R. B : Tout ceci repose en effet sur le travail d’élus engagés en concertation avec les citoyens car il n’y a pas de santé mentale sans santé globale. Il est important que cette prévention sorte du seul cadre hospitalier et prenne en compte ces déterminants socio-économiques, environnementaux et biologiques. Le Colloque International Ville et Santé Mentale permet ainsi de développer des stratégies intéressantes en fédérant l’ensemble des énergies et des convictions au service des santés positives. Il ne s’agit pas de faire des discours mais de les appliquer dans des politiques publiques inclusives et solidaires garantissant ces parcours de vie, le bien-être collectif, la cohésion sociale et les droits fondamentaux de toutes personnes soignées ou en situation de handicap.
Plus de 35 Villes et 3 réseaux internationaux ont signé l’Appel de Nantes
C’est pour cela que les Villes étaient présentes. Plus de 35 d’entre elles et 3 réseaux internationaux (Eurocités, AIMF, France urbaine) ont signé l’Appel de Nantes. A titre d’exemple de politiques publiques inclusives, nous pouvons nous inspirer des prescriptions muséales qui existent actuellement au Québec et qui permettent aux gens de se relâcher et de se détendre. Celles-ci vont bientôt apparaître en Belgique et en France, avec une plus-value certaine sur le bien-être. Aujourd’hui, les pistes de réflexion sont multiples car les maladies mentales ne sont ni plus ni moins que de la deuxième cause d’arrêts de travail ou de congé de longue durée et la première cause d’invalidité.
Propos recueillis par Mathieu Portogallo