De Paris à Grenoble, de la région Rhône-Alpes à la Normandie, le marché de systèmes de billettique intelligente explose. Dans un contexte de concurrence exacerbée, certains acteurs arrivent toutefois à tirer leur épingle du jeu. À l’image de Conduent (ex-Xeros), qui a remporté six appels d’offres successifs pilotés par Setec ITS, une entreprise commissionnée pour assister les collectivités territoriales dans l’attribution de marchés publics.
Décembre 2018. Le groupe d’entreprises Atos, Worldline et Conduent frappe un grand coup en remportant l’appel d’offres d’Ile-de-France Mobilités, l’ex-Syndicat des transports d’Ile-de-France, pour la construction du futur système informatique central pour la billettique des transports de la région.
Dans le secteur fermé des ITS (Intelligent Transportation Systems ou Systèmes de Transport Intelligents), le contrat fait office de jackpot : 60 millions d’euros sur neuf ans pour moderniser les titres de transport, préparer la billettique à la dématérialisation et, surtout, permettre l’interopérabilité entre les différents opérateurs (RATP, SNCF, Keolis) appelés à être mis en concurrence dès 2021.
Pouvoirs publics cherchent maîtres d’ouvrage
Le méga-contrat francilien n’est pourtant que le reflet d’un marché en forte croissance. D’après le livre vert rédigé par Atec ITS France (le réseau des professionnels du secteur), la mobilité intelligente représente déjà plus de 1 000 entreprises et 45 000 emplois directs. Le marché annuel représenterait quant à lui 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Dans ce secteur à forte valeur ajoutée, les premiers clients sont généralement les pouvoirs publics : régions, agglomérations ou grandes métropoles.
Mais depuis quelques années, ces collectivités territoriales se retrouvent confrontées à un défi de taille : moderniser leur système de billettique pour permettre, d’une part, une interopérabilité qui favorise la mise en concurrence de tous les opérateurs, et, d’autre part, s’adapter à l’évolution technologique en billettique. Celle-ci repose en grande partie sur l’arrivée de la technologie NFC (Near Field Contact) appliquée aux smartphones et à la carte bleue.
Sur des sujets aussi complexes, les pouvoirs publics sollicitent l’aide de conseillers de haute volée. Ce sont les AMOA (Assistants à la Maîtrise d’OuvrAge), des sociétés qui disposent de l’assise technique et juridique pour orienter au mieux le choix des syndicats mixtes du transport. En France, le marché des ITS est riche de plusieurs AMOA : INGEROP, Kisio, Transamo, SYSTRA et, surtout, Setec ITS.
Cette dernière s’est taillée une solide réputation dans le secteur. La société intervient généralement sur des projets billettiques et SAEIV (Systèmes d’Aide à l’Exploitation et à l’Information Voyageurs). Son positionnement naturel s’est établi sur les grands réseaux de transport français nécessitant la mise en œuvre de systèmes complexes, multi-opérateurs, multimodaux et interopérables. Un autre nom du secteur est aussi associé au secteur de l’ITS : celui de Conduent, une entreprise qui semble entretenir une relation serrée avec Setec.
Setec et Conduent, une collaboration ancienne
Discrète, la société Conduent, née de la scission en 2017 du groupe Xerox en deux entités distinctes, est pourtant l’un des leaders du marché de l’optimisation des processus métier. Cette nouvelle entité accumule les succès, notamment dans le secteur des transports — et spécifiquement dans celui de la billettique intelligente. Ainsi, sur les six derniers grands appels d’offres de billettiques étudiés par Setec, la totalité a été remportée par Conduent. Parmi lesquels le gigantesque appel d’offres de la région Ile-de-France.
Conduent a ainsi été titulaire du renouvellement de la billettique de l’agglomération de Grenoble en 2018, du système interopérable « OurÀ » en région Rhône-Alpes, du « Sytral » à Lyon ou encore du système interopérable « Atoumod » des régions Haute et Basse-Normandie. Si l’on se réfère au bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP), pour chacun des marchés remportés par Conduent, c’est la société Setec ITS qui était responsable de l’étude en amont
L’appel d’offres « Pass Pass », du nom de ce système de billettique des Hauts-de-France, illustre bien cette collaboration entre les deux sociétés : depuis 2015, Setec et Conduent travaillent sur ce projet de modernisation du système de billettique. Hauts de France Mobilité (ancien SMITR), appuyée par Setec, a d’ailleurs renouvelé, début 2018, sa confiance en Conduent — comme le montre cet extrait de délibérations syndicales que nous avons pu nous procurer.
L’ombre d’un doute
Faut-il y voir une certaine forme de favoritisme ? En réalité, rien ne permet de l’affirmer. Il est tout à fait possible que la société Conduent ait trouvé la « recette » miracle pour sortir du lot de façon répétée dès lors que Setec ITS est l’AMOA. Ce qui est certain, en revanche, c’est que d’autres fournisseurs ont gagné le marché dès lors qu’un autre AMOA que Setec était désigné. Ce fut notamment le cas de Parkeon, qui a remporté la billettique de Lille Métropole en 2009 ou de Thales pour la billettique de Bordeaux Métropole en 2014. Dans ces deux appels d’offres, l’AMOA retenu était un concurrent de Setec, Kisio Consulting.
L’attribution des marchés à Conduent par Setec ITS n’a jamais, pour le moment du moins, soulevé de critiques. Elle pourrait toutefois, à terme, inquiéter les collectivités territoriales, pour peu qu’un concurrent se pose en référé pour casser des marchés qu’il jugerait injustement attribués. De quoi faire les affaires des nombreux autres AMOA de bonne réputation tels que INGEROP, Kisio, Transamo, Egis, SYSTRA, MT3… Et relancer la guerre féroce des appels d’offres dans la billettique intelligente.