Les chiffres du harcèlement de rue témoignent de la surexposition des femmes aux violences dans l’espace public. Face à ce phénomène endémique, les pouvoirs publics tentent, tant bien que mal, de prendre des mesures d’ampleur. Campagnes de sensibilisation dans les établissements scolaires, durcissement législatif ou encore déploiement d’un numéro d’urgence dans les transports en commun franciliens viennent compléter un arsenal de mesures déjà consistant. Dans le monde numérique, autre espace où s’affirme la vulnérabilité des femmes, un début de mobilisation se dessine aussi, en coopération avec les associations, comme StopFisha, et même certains réseaux sociaux, comme le français Yubo.
Des chiffres inquiétants
100 % des femmes ont déclaré avoir déjà été victimes de harcèlement sexiste ou sexuel dans les transports en commun franciliens. Dans la rue, 25 % des 19 – 29 ans jugent ressentir de la peur, tandis que 40 % des femmes affirment renoncer à se rendre dans certains lieux publics par crainte d’être importunées. Bref, le sentiment d’insécurité des femmes ne faiblit pas, selon les données fournies par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH).
Depuis une récente loi, l’outrage sexiste est mieux réglementé et est passible d’une amende de 90 à 750 euros, parfois accompagnée d’un stage de sensibilisation pour les hommes s’en étant rendus coupables. La notion de harcèlement, mieux définie, est aussi élargie en incorporant tous les types de harcèlement, notamment sexuel et moral. Le harcèlement de groupe est aussi créé dans les cas où une seule et même personne est attaquée par plusieurs autres. Mais le nouvel encadrement législatif suffit-il ? À première vue, pas réellement. Depuis août 2018 et le vote de la loi contre les violences sexuelles et sexistes, qui représente le cadre législatif sur cette problématique, 1 292 verbalisations ont été prononcées pour « propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste ». Un chiffre très largement inférieur aux cas supposés, sachant qu’en France, 8 femmes sur 10 ont déclaré avoir déjà été victimes d’une agression ou d’un harcèlement de rue.
Initiatives urbaines : collectifs et associations en première ligne
En parallèle du cadre législatif renforcé, les initiatives urbaines se multiplient grâce au précieux soutien de collectifs de femmes. À Rouen, par exemple, 16 bars sont membres du réseau Angela. Il permet aux femmes se sentant menacées d’y accéder, de signaler leurs inquiétudes auprès d’un serveur et, ainsi, de se sentir protégées en demandant « Angela » au comptoir. Grâce à ce nom de code, les femmes peuvent rester dans le bar jusqu’à l’arrivée d’un taxi ou d’un proche. Ce dispositif a d’ailleurs intéressé d’autres villes, en France et à l’étranger. Caen, Amiens et Reims ont mis en œuvre un réseau similaire qui s’avère notamment très utile en marge des soirées alcoolisées, propices à toutes les dérives. Autre initiative, un numéro spécial permet même aux femmes de donner un numéro factice, envoyant à l’harceleur un message rappelant les règles de base du respect et du consentement. Preuve de l’ambiance pesante, le numéro a été surutilisé par des internautes malveillants et, au bout de quelques jours, rendu inaccessible. Plusieurs autorités de transport ont aussi développé les bus à la demande, permettant aux femmes d’en exiger l’arrêt quand elles le souhaitent, pendant la nuit, afin d’éviter de traverser des endroits jugés dangereux pour leur intégrité. À Lille, un collectif de femmes artistes, la Brigade du Respect, décore les rues de messages de prévention destinés à renforcer la prévention et la sensibilisation des hommes.
Car le harcèlement repose bel et bien sur la transposition des mécanismes systémiques de domination au sein de l’espace public. Une des voies privilégiées est la déconstruction, dès le plus jeune âge, de ces croyances bien ancrées dans les structures mentales des individus. « Dès l’école primaire, les garçons occupent le centre de la cour de récréation en jouant au ballon tandis que les filles sont sur les côtés et s’amusent avec des jeux qui prennent moins de place », explique au Figaro Yves Raibaud, universitaire et spécialiste du sujet. C’est donc aussi dans les écoles que se jouent l’avenir et la sécurité des femmes dans nos villes. « Travailler sur l’éducation, ça prend plus de temps et ça coûte plus cher », regrette ainsi Agnès Volant, de l’association Stop Harcèlement.
Et l’espace numérique ?
Grande nouveauté dans la loi sur les violences sexuelles et sexistes, le harcèlement en ligne devient désormais un facteur aggravant. Car internet est aussi un espace public où se jouent, comme dans les villes, des mécanismes de domination systémiques. Les chiffres de Microsoft, qui s’attache à mesurer les incivilités en ligne, sont assez révélateurs. 62 % des Français prétendent avoir déjà été victimes de cyberharcèlement. Sur les 25 « risques » identifiés par la société américaine, le harcèlement physique ou à connotation sexuelle arrive en tête. Les femmes y sont d’ailleurs plus exposées et sont deux fois plus susceptibles de faire l’objet d’un revenge porn que les hommes. Face à ce phénomène, une initiative citoyenne a été mise en œuvre par une étudiante, à travers le mouvement #StopFisha. En effet, les groupes « Fisha » rassemblent des photos volées d’adolescentes, souvent dénudées, diffusées sans leur consentement. Dès qu’un tel groupe est repéré sur un réseau social, comme Telegram ou Snapchat, les membres du collectif le dénoncent en masse afin de le faire supprimer dans les meilleurs délais.
Une initiative prometteuse, mais qui ne remplace pas la bonne volonté des plateformes sociales pour protéger leurs membres de ce phénomène. L’application française Yubo, qui rassemble plus de 30 millions d’inscrits, majoritairement des adolescents, se mobilise beaucoup sur ce phénomène. Aux États-Unis, Yubo a tissé un partenariat avec le Centre national pour les enfants disparus et exploités (NCMEC) à la fin du mois d’avril dernier. Par ce partenariat, Yubo s’engage à remonter tous les cas suspects d’exploitation ou de mise en danger des mineurs à l’ONG, qui se chargera de prendre contact avec les autorités compétentes pour les traiter. Un dispositif « plateforme – association » aussi mis en œuvre en France. Cette fois, plus précisément centré sur le sujet du harcèlement. En effet, Yubo et E-enfance ont annoncé, le 9 juin dernier, avoir noué un partenariat destiné à mettre en relation les jeunes victimes de cyberharcèlement sur la plateforme avec un service d’écoute spécialisé sur ces problématiques afin de leur permettre d’échanger avec un professionnel. Une prise de contact désormais disponible avec « un simple bouton » implémenté sur l’application, comme le rappelle Justine Atlan, directrice générale du service Net Écoute et de l’Association e-Enfance. « La mise en relation directe avec un service professionnel tel que celui proposé par e-Enfance est essentiel pour nous » rappelle Marc-Antoine Durand, directeur des opérations de Yubo.
Les inégalités s’exprimant très souvent dans l’espace public, qu’il soit virtuel ou non, ces initiatives demeurent essentielles. Mais l’amélioration de la sécurité des femmes, partout où elles se trouvent, prendra du temps. Le préalable essentiel demeure un changement des mentalités, plus efficace que le « tout-répressif ».
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