Selon une étude Elabe-Veolia publiée le 15 novembre 2019, « 85% des Français souhaitent que les questions environnementales aient une place importante dans les propositions des candidats de leur commune » pour les prochaines élections municipales de mars 2020. A ce titre, Alain Péréa, en sa qualité de membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a répondu aux questions de l’EnerGeek. Par quoi passe la transition énergétique dans les territoires et dans celui de l’Aude plus particulièrement ? Quelles sont les difficultés rencontrées ? Les actions mises en place ? Extraits de cette interview.
Partagez-vous l’avis de Loïc Prud’homme de la France insoumise, qui dit que « c’est aux maires de mener la transition écologique dans leur territoire, quand on sait que 50 à 70% des leviers d’actions contre le changement climatique se situent à un niveau local » ?
Alain Péréa : Non, je ne partage pas en totalité les propos de Loïc Prud’homme, parce que je crois que c’est trop facile de dire « les autres n’ont qu’à faire le travail ». Je vais vous donner des exemples concrets. Quand vous voulez mettre en place des évolutions liées à l’environnement et à l’adaptation climatique dans des secteurs anciens, vous vous heurtez à un carcan administratif terrible, avec notamment les périmètres classés. Quand vous voulez faire quelque chose en milieu rural, c’est la même chose avec des problématiques liées à la protection de l’environnement – qui est nécessaire, je ne dis pas le contraire, mais qu’il faut savoir adapter au territoire. Souvent les élus locaux sont de bonne volonté, mais ils se retournent vers le législateur, pour obtenir son soutien et pallier les obstacles.
Emmanuelle Wargon (Secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la Transition Ecologique) s’est rendue dans l’Aude le 28 octobre dernier pour signer la charte d’engagement concernant le Contrat de transition écologique (CTE) de Carcassonne Agglo. Quelles sont les attentes de ce contrat pour le département ?
A.P : Ce qui domine avec le CTE qu’a signé Emmanuelle Wargon, c’est la résilience dans la façon d’aborder les choses. Avant, le discours du maire d’une commune inondable, comme c’était mon cas, était : « Je vais me battre pour éviter les inondations ». On s’est aperçu que cette posture était impossible car l’eau repasse toujours sur ses traces ! Aujourd’hui, ce qu’on explique aux populations, c’est : « Ecoutez, on ne va pas pouvoir empêcher les inondations, mais on va tout faire pour qu’elles occasionnent le moins de dégâts possibles, pour que vos maisons soient le mieux protégées ». C’est vraiment la marque d’une société qui va dans le bon sens.
Que pensez-vous de la décision du tribunal administratif de Montpellier qui a débouté le 15 octobre dernier les opposants au projet de construction d’une installation de traitement des nitrates (TDN) sur le site d’Orano Malvési ?
A.P : Cette décision ne fait que confirmer ce que je dis depuis le début : ce projet a avancé de manière très sérieuse, a été étudié scrupuleusement par les services de l’Etat et par l’exploitant Orano. Certaines personnes sont opposées au nucléaire, et je les respecte tout à fait. Mais être contre le nucléaire ne signifie pas que l’on va forcément gagner devant le tribunal administratif !
En réalité, ces opposants regroupent des personnes qui sont contre le nucléaire tout court, et d’autres qui pensent que le procédé qui a été utilisé pour le TDN à Malvési n’est pas adapté. Or, je vous rappelle que si vous fermez le site de Malvési, vous éteignez toutes les prises électriques de France (l’usine de Malvési est souvent présentée comme la « porte d’entrée du nucléaire en France », ndlr). Pendant la campagne des législatives de 2017, j’ai été le seul candidat à dire qu’on ne pourrait pas faire fermer le site, mais que derrière je m’engageais à vraiment travailler sur le dossier en toute transparence. J’ai obtenu la nomination, par le préfet, de deux experts sur ces questions. J’ai auditionné tout un tas de personnes, au moment où la présidente de la Commission Barbara Pompili faisait son évaluation sur la sécurité nucléaire. J’ai fait de nombreuses réunions avec des spécialistes du sujet à Paris. Partout, les personnes neutres que j’ai rencontrées sur le sujet, m’ont dit : « Monsieur le député, il n’y a aucun souci sur le procédé ».
Sur cette question, les seuls qui avançaient qu’il y avait un problème avec ce site, c’est l’association Rubresus. Ils sont allés au tribunal, et ils ont perdu. Je n’en suis ni content ni mécontent. Nous sommes dans un Etat de droit. La justice a tranché, voilà.
L’installation de ce TDN va-t-elle dans le bon sens ?
A.P : Oui, bien sûr. Ce nouveau procédé TDN va permettre de traiter ces eaux, d’éviter de laisser cette gestion aux générations futures, le tout avec des contrôles importants sur les sorties de fumée. De plus, le procédé va être suivi, et s’il y a le moindre souci, surtout au début, il sera immédiatement arrêté.
C’est très bien qu’on ait aujourd’hui une société qui s’interroge, qui est beaucoup plus informée. Mais, à un moment donné, il faut que la parole de « l’expert » reprenne toute sa place. Sinon, notre société ne peut plus fonctionner.
La transition énergétique, dans laquelle s’inscrit le nucléaire mais aussi les renouvelables avec le solaire, l’éolien ou l’hydraulique, est-elle un gros vecteur d’emplois dans la région de l’Aude ?
A.P : Le nucléaire avec Malvesi, c’est plus de 200 salariés. Ce n’est pas le plus gros employeur de la région, mais ce sont des emplois en renouvellement constant. Quant aux énergies renouvelables, j’ai été le premier à dénoncer l’attitude colonialiste de certains porteurs de projets dans l’Aude. On venait nous implanter des éoliennes, on donnait un peu d’argent aux collectivités territoriales et aux propriétaires de terrain, mais la vraie valeur ajoutée (la construction, la création d’emplois, la valorisation intellectuelle) se faisait ailleurs.
J’ai fait partie de ceux qui ont dit : « C’est fini ». « Si vous voulez implanter des éoliennes sur notre territoire ou sur notre espace maritime, ça doit se faire avec un vrai projet de territoire, et une vraie richesse partagée, que ce soit en termes de bureaux d’étude, de projets de financement participatif, ou en associant les collectivités territoriales sur les questions de gestion de l’énergie ». Orano, par exemple, a implanté un centre de recherche à Narbonne. Nous sommes un territoire où les revenus sont bas, où les jeunes ingénieurs, faute de trouver du travail, sont obligés de partir. Donc, avoir un tel centre, c’est très important !
Pensez-vous comme Roland Lescure (Président de la commission des affaires économiques) que « le nucléaire peut et doit faire partie des solutions au mix énergétique français des 20-30 années qui viennent, à condition qu’on sache planifier l’avenir stratégique de cette filière » ?
A.P : Je m’en doutais avant, mais j’en suis sûr désormais : il faut qu’on nous explique comment faire sans le nucléaire à moyen terme… Je tire la sonnette d’alarme sur le fait qu’il va falloir démanteler certaines centrales nucléaires. On a donc vraiment besoin de jeunes qui s’investissent dans cette filière, non pas dans une logique de développement, mais dans une dynamique de sortie. On sait aujourd’hui que le démantèlement de toutes les centrales nucléaires prendra entre 30 et 50 ans. Il y a donc des adolescents qui sont aujourd’hui au collège et qui peuvent envisager de faire toute leur carrière dans ce domaine ! Je crois, pour finir, dans la capacité de l’être humain à trouver des solutions. Donc il faut avoir une vision globale du mix énergétique français, sans cultiver de tabous sur la question du nucléaire.
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