Comme le relate le think-tank, La Fabrique de la Cité, Aurillac, 26 000 habitants, est la ville la plus peuplée du Cantal, exerçant la fonction de préfecture et de pôle économique et structurant un large territoire à dominante rurale à faible taux de chômage. Aurillac n’échappe toutefois pas à certaines dynamiques communes à de nombreuses petites villes moyennes, comme la perte d’habitants au profit de sa périphérie, le vieillissement de sa population ou encore la difficulté à retenir ses jeunes. A ces caractéristiques, Aurillac ajoute encore la particularité d’être « la préfecture la plus enclavée de France ». Obstacle ou opportunité ? Souvent considérée comme la ville la plus froide de France ou encore accablée pour son éloignement des grands axes de circulation vers les grandes métropoles, Aurillac fait toutefois mentir le déterminisme géographique en jouant des atouts de son territoire pour se développer à l’échelle nationale et internationale.
Aurillac est souvent qualifiée de ville- préfecture la plus enclavée de France. Le département du Cantal présente la particularité topographique d’être dominé par le plus grand stratovolcan d’Europe, le Puy-Mary (2800km², soit deux fois la surface de l’Etna), qui contraint fortement les relations est-ouest à l’intérieur du département ainsi que les relations avec les autres villes hors du département (Fig.1). La plupart des villes du Cantal, Pierrefort, Saint-Flour, Murat, Riom-ès-Montagnes, Mauriac, Pleaux, Salers ainsi qu’Aurillac, se trouvent à l’extrémité des coulées volcaniques. Aurillac se situe dans un bassin sédimentaire riche à l’intersection de plusieurs unités paysagères d’une richesse exceptionnelle : on trouve à l’est le Massif cantalien du Puy-Mary, au sud et au sud-ouest, deux plateaux volcaniques (Châtaignerie et Xaintrie). Aurillac commande surtout l’accès aux larges vallées glacières de la Jordanne et de la Cère, historiquement les principales voies traversantes de la montagne en direction notamment de la vallée de l’Allier. La vallée de la Cère est aujourd’hui empruntée par la seule voie d’importance nationale, la N122, permettant de rejoindre l’ouest et l’est du département, et de là, Clermont-Ferrand.
Un pôle commercial historique qui a su tirer profit de sa situation au débouché de routes peu faciles d’accès
Aurillac s’est développée comme la principale polarité économique du Cantal avec une activité de foires, de commerces et de marchés attirant des marchands venus de loin pour des produits recherchés descendus de la montagne et des plateaux : fromages (fourme, cantal, salers), châtaignes, bovins pour la boucherie ou la tannerie. La ville a donc tiré profit de sa situation au débouché de différentes routes longtemps difficiles à parcourir et nécessitant de décharger et recharger les marchandises (Haut-Limousin, Basse-Auvergne, Rouergue, Le Quercy, le Languedoc, l’Espagne), donc d’une accessibilité contrainte. Elle a également profité du fait d’être la seule ville capable de structurer une campagne maillée seulement de bourgs ruraux. Les autres villes comparables ou plus grandes étaient éloignées : Brive-la Gaillarde, Clermont-Ferrand, Cahors, Figeac… Elles le demeurent relativement aujourd’hui.
De ce fait, la croissance démographique d’Aurillac a toujours été la plus dynamique du département et s’est encore accrue avec le développement d’infrastructures de transport facilitant son accessibilité et attirant à elle les habitants des campagnes. C’est notamment le cas des lignes de chemin de fer reliant Aurillac à Figeac (1866) et à Arvant (1866). La ville est ainsi passée rapidement de 9 600 habitants en 1860 à 18 000 habitants à la veille de la Première Guerre Mondiale, puis à presque 31 000 habitants en 1975.
Le revers de cette accessibilité accrue fut toutefois le renforcement d’une émigration définitive doublant une émigration temporaire et saisonnière traditionnelle des Auvergnats vers les Pays-Bas, l’Espagne, Paris ou la Bretagne qui a toujours contribué à enrichir la ville en facilitant la circulation des marchandises (chaudronniers ou marchands de parapluies par exemple). Aurillac a toutefois mieux résisté que d’autres bourgs plus ruraux (région de Salers, Aubrac etc.).
L’enclavement d’Aurillac et plus largement du département du Cantal n’est donc pas un sujet nouveau. Défini comme un déficit de desserte spatiale qui conduit à un enfermement du territoire et à un sentiment d’exclusion chez ses habitants, l’enclavement constitue tout à la fois un handicap et une opportunité. Le développement historique le montre : la ville a su tirer profit d’une accessibilité réduite des territoires l’environnant pour se structurer comme débouché naturel pour ceux-ci. L’ouverture de la ville vers d’autres centralités plus importantes l’a néanmoins fragilisée en lui faisant perdre certains habitants auparavant captifs. L’enclavement est toutefois relatif : il est vécu de façon plus douloureuse à mesure que d’autres territoires bénéficient d’une meilleure desserte. Tel est le cas d’Aurillac.
Des investissements publics en faveur de l’ouverture du territoire
Les investissements croissants en faveur de la construction de nouvelles infrastructures de transport ont comparativement peu profité à Aurillac et au Cantal. Les cas de l’Aveyron ou de la Haute-Loire sont souvent cités comme exemples de territoires au caractéristiques similaires mais bénéficiant d’une meilleure desserte. Les élus locaux portent ainsi régulièrement la question du désenclavement de la ville et du département comme enjeu de solidarité nationale. Il faut toutefois noter que l’État s’est engagé depuis longtemps auprès des collectivités locales pour améliorer l’accessibilité du territoire grâce à la construction de nouvelles infrastructures ou à l’amélioration et au soutien au financement de l’exploitation de certaines infrastructures existantes. Dès 1834, le préfet Delamarre commanda les travaux d’aménagement du tunnel routier du Lioran traversant le Puy de Masseboeuf et garantissant une meilleure liaison est-ouest que la voie royale 126 inaccessible en hiver en raison de la neige et dangereuse l’été en raison d’attaques de brigands ou de loups. Cet ouvrage, ouvert en 1843, d’une longueur peu commune à l’époque (1414 mètres), notamment pour un ouvrage routier, suscita la curiosité de nombreux visiteurs venus de toute l’Europe pour le voir. Il fut remplacé en 2007 par un second tunnel conforme aux normes de circulation et aux conditions de trafic contemporaines (5 000 véhicules/jour) et garantissant des temps de traversée améliorés.
Des infrastructures routières en cours de modernisation en marge du réseau autoroutier
Le désenclavement d’Aurillac repose d’abord sur le développement d’infrastructures routières. Ouvrant à Aurillac les Assises de la Mobilité pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, la ministre des transports Elisabeth Borne déclarait en septembre 2017, « il faut qu’on accorde la priorité, dans la loi de programmation des infrastructures, pour des territoires comme ici, loin des autoroutes, loin des grands axes et qui ont besoin d’avoir une véritable feuille de route. Il ne faut pas avoir une France à deux vitesse ». Aujourd’hui, Aurillac est desservie par plusieurs axes routiers d’importance départementale dont le principal (RD120) permet de rejoindre Brive-La-Gaillarde, et de là, les autoroutes A20 (l’Occitane, entre Vierzon et Montauban, en passant par Limoges, maillon essentiel de l’axe Paris-Toulouse) et A89 (la Transeuropéenne reliant Bordeaux à Lyon en passant par Clermont-Ferrand). Le Conseil départemental a engagé entre 2014 et 2015 de grands travaux de modernisation de cette voie afin de faciliter et de sécuriser les liaisons entre le Cantal et la Corrèze et de réduire les temps de déplacement en direction de Paris et Bordeaux.
Toutefois l’axe routier majeur est la RN122 reliant Figeac à Massiac. La RN122 permet de rejoindre à l’ouest l’autoroute A20 et à l’est l’autoroute A75 reliant Clermont-Ferrand à Béziers. Cet axe n’a pas été déclassé sur sa portion Figeac-Aurillac à la suite des lois de décentralisation (décret du 5 décembre 2005). Il fait aujourd’hui l’objet de travaux de modernisation au niveau d’Aurillac: l’achèvement du contournement sud et la transformation de la RN122 en 2×2 voies entre Aurillac et Ytrac doivent permettre notamment de dévier du centre-ville d’Aurillac les flux de transit, de fiabiliser les temps de déplacement sur un tronçon auparavant marqué par la saturation (15 000 véhicules/jour pour 3 000 véhicules/jour en moyenne sur le reste de l’axe) et de sécuriser les déplacements en évitant une portion sinueuse particulièrement accidentogène.
Au nom du désenclavement du Cantal, le contournement ouest d’Aurillac est également à l’étude pour des travaux débutant en 2024 et devant dévier jusqu’à 13 000 véhicules/jour d’Aurillac. Ce contournement soulève toutefois l’opposition des agriculteurs de la plaine d’Ytrac et des riverains rassemblés dans une association nommée Appy soutenue par des personnalités aussi différentes que Stéphane Bern ou Claude de Saint-Vincent, directeur général de Média-Participations. Les débats qui entourent le contournement ouest oppose deux logiques : l’une d’échelle départementale, prenant en compte l’importance d’une fluidification du trafic et d’une accessibilité accrue dans une perspective de désenclavement du département misant principalement sur la route ; l’autre d’échelle locale mettant en avant la préservation d’un environnement naturel et agricole apprécié des habitants et recherché par les touristes ainsi que la baisse nécessaire du trafic dans une perspective de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le risque d’un « cul-de-sac ferroviaire » ?
Les liaisons ferroviaires sont effectuées exclusivement par des trains express régionaux qui placent Aurillac en liaison directe à environ 2h20 de Clermont-Ferrand et à 1h50 de Brive-La-Gaillarde, et, avec correspondance, à environ 4h de Toulouse, 7h de Paris et 7h de Lyon. La desserte d’Aurillac s’est peu à peu détériorée : alors que dans les années 1980, une trentaine de trains partaient d’Aurillac dont deux directs pour Paris, il n’y en avait plus que 15 en 2019 sans aucune liaison directe avec la capitale, les trains circulant par ailleurs sur des tronçons régulièrement défaillants (Aurillac-Brive). Les voix sont nombreuses pour réclamer une amélioration de la desserte ferroviaire de la ville, au sein du département, de la région tout comme au sein des régions limitrophes: plusieurs phases de travaux ont été entreprises entre Brive et Aurillac. Par ailleurs, 2.1 millions d’euros sont inscrits dans les crédits du plan de relance en faveur de la sauvegarde de la ligne Aurillac-Brive ; des crédits sont également prévus pour la ligne Aurillac-Arvant ; la réintroduction d’un train de nuit direct Paris-Aurillac est également à l’étude. Toutefois, il est estimé que 50 millions d’euros seraient nécessaires pour éviter qu’Aurillac ne devienne un cul-de-sac ferroviaire.
La ligne aérienne Paris-Aurillac, condition du maintien de l’attractivité d’Aurillac ?
Du fait de l’éloignement routier et ferroviaire de la capitale, la liaison aérienne joue un rôle majeur dans le désenclavement d’Aurillac. Tous les acteurs politiques et économiques locaux s’accordent sur ce point. Ainsi 93 parlementaires ont signé en juin 2019 une tribune rappelant l’importance des liaisons aériennes et plus spécifiquement des lignes dites d’aménagement du territoire : « Non, l’avion n’est pas un moyen de transport qui serait un caprice réservé aux nantis ! Pour beaucoup de nos départements, il est une nécessité vitale. Certains de nos territoires sont en effet victimes d’un enclavement qui handicape leur développement. Les lignes aériennes interrégionales, en particulier celles qui les relient à Paris, sont souvent le seul moyen de leur éviter un isolement mortifère, faute de dessertes routières et ferroviaires adaptées à notre époque. Pour rejoindre Aurillac au départ de Paris, par exemple, il faut compter sept heures de train et deux changements, avec souvent l’obligation de prendre un autobus. Dans le Cantal, en général, il faut en outre compter environ une heure et demie pour rejoindre une autoroute. C’est bien la ligne aérienne d’aménagement du territoire qui maintient une grande partie du département en vie et connecté au reste du pays. »
L’avion reste en effet le moyen de déplacement le plus rapide. Pour atteindre Paris, l’une des seules destinations desservies par l’aéroport d’Aurillac sur le territoire national, en plus d’Ajaccio et de Castres, il faut compter 1h30 de vol. Pour les vols internationaux, il faut en revanche se rendre dans les aéroports à proximité comme celui de Clermont-Ferrand (à 2h de route), de Rodez-Aveyron (à 1h45) ou encore celui de Brive-Souillac (à 1h15).
Avec une fréquentation de 30 229 passagers en 2016, soit 10% de plus par rapport à 2015, le taux de remplissage des vols de la ligne Aurillac/Paris est en constante progression (68% pour la période 2017-2018. Ce taux de remplissage demeure toutefois insuffisant pour assurer la rentabilité commerciale. La ligne est ainsi financée par des subventions venues à la fois de la Communauté d’Agglomération du Bassin d’Aurillac (CABA), du Département du Cantal et de l’État. Cette ligne dite « d’aménagement du territoire » est en effet considérée d’utilité de service public. Pierre Mathonier l’affirme sans ambiguïté : « Si on n’a plus la ligne aérienne et les rotations d’avions, l’industrie ne pourra pas rester à Aurillac. »
Ce positionnement reflète celui des entreprises du territoire. Ainsi le directeur général de Matière, , spécialisée dans la construction de structures métalliques, explique que « son entreprise facture aujourd’hui 60% de son chiffre d’affaires hors de France [et] ne peut subsister dans le Cantal sans une liaison sécure et fiable vers Paris où se trouvent toutes nos administrations de tutelle ainsi que les accès aux aéroports internationaux. […] La slow économie ce n’est pas possible, les voyages d’affaires, ce n’est pas pour le plaisir, les gens qui se déplacent ont des contraintes fortes, donc l’avion s’impose pour faire le travail commercial ou technique pour assurer les salaires en fin de mois. »
Ce besoin exprimé par le territoire est soutenu par l’État. En novembre 2020, Jean-Baptiste Djebbari, Ministre délégué auprès de la ministre de la Transition écologique, chargé des Transports, qualifiait en effet ces lignes aériennes, notamment en citant le cas d’Aurillac, de « condition, sinon de survie, du moins du maintien de l’attractivité » de certaines villes.
Une terre d’entrepreneurs
Par ailleurs, Aurillac est une vraie terre d’entrepreneurs – et cela depuis longtemps. Elle a depuis toujours rayonné au-delà de ses frontières régionales et a su exporter ses savoir-faire par une stratégie active d’émigration saisonnière. Ces exportations vers les grandes villes de France comme Paris, Toulouse, Bordeaux, Marseille ou encore Montpellier, ont permis à la petite ville de campagne de soutenir le développement d’entreprises familiales, à l’instar de l’entreprise familiale fondée en 1884, Parapluies Piganiol, existant depuis 5 générations et dernier fabricant de parapluies dans le Pays d’Aurillac, résistant grâce à un fort esprit d’innovation.
Plus récemment, des industries innovantes, attirées par la qualité du cadre de vie, n’hésitent pas à s’installer à Aurillac. C’est le cas de Biose Industrie, spécialisée dans le développement et la production clinique et commerciale de micro-organismes. Ce leader mondial emploie environ 200 personnes dont des chercheurs recrutés dans de grandes métropoles comme Strasbourg, Toulouse, Lyon et de Bordeaux. L’entreprise, qui possède plus de 60 ans d’expérience dans le développement et la production de médicaments, compte investir 22 millions d’euros dans son site d’Aurillac pour l’agrandir de plus de deux mille mètres carrés. Prévus en 2022, ces travaux renforceront la position de leader mondial dans la recherche et la production de microbiotes.
L’enjeu de la connectivité
Les entreprises d’Aurillac sont marquées par leur forte implantation locale. Les témoignages recueillis auprès des entrepreneurs convergent : le Cantal et Aurillac présentent une véritable attractivité pour la qualité de vie offerte à partir du moment où l’emploi proposé est lui-même attractif, ce qui est le cas dans les entreprises innovantes qui occupent souvent un secteur de niche. En 2021, l’association Villes et villages a classé Aurillac 7e ville de France où il fait bon vivre sur 320 communes se situant dans la strate des 20 à 50 000 habitants (8ème position en 2020). Les entreprises et même l’administration publique parviennent ainsi à attirer des talents venus bien-au-delà du bassin d’emploi d’Aurillac.
L’enjeu de connectivité reste toutefois central pour ces entreprises et leurs employés : leur implantation locale forte ne signifie en effet pas qu’elles se satisfassent du simple marché local. Bien au contraire, ces entreprises innovantes doivent leur réussite à la conquête d’un marché sinon international, du moins européen. Reconnue « Entreprise du patrimoine vivant » en 2009, Piganiol fabrique des parapluies en valorisant le savoir-faire français à l’international. Trente personnes fabriquent à Aurillac plus de 50 000 parapluies par an destinés au secteur très compétitif du luxe et de la mode. L’entreprise Matière est quant à elle spécialisée dans la construction de ponts et de structures métalliques. Fondée à Arpajon-sur-Cère en 1932, l’entreprise vend aujourd’hui ses ponts à plus de 20 pays dans le monde. Au total, 250 personnes sont employées par Matière dans le Cantal (et 800 dans le monde), et l’entreprise pèse 180 millions de chiffre d’affaires. Europe Service (environ 130 salariés) s’est pour sa part progressivement imposée parmi les leaders du marché de la fabrication de véhicules de voirie (distributeur, équipementier et loueur). Principal acteur européen dans l’élaboration d’engins de déneigement, Europe Service est également présent au Maroc et en Algérie.
Dans cette perspective, l’infrastructure numérique constitue un enjeu crucial pour le territoire et son tissu économique. Alors qu’Aurillac n’a pas eu de retard sur la fibre, la Chambre de Commerce et de l’Industrie d’Aurillac met en œuvre actuellement une opération 5G pour équiper la ville et ses entrepreneurs. Elle développe également des nouvelles formations comme celle de la cybersécurité en partenariat avec le Centre National de Formation au Très Haut Débit, créé il y a maintenant 10 ans. Le CNFTH recrute 400 personnes par an pour former les personnes sur les métiers de la fibre, du cuivre ou du satellite et Hertzien.