Depuis l’été, le capitalisme français, agité par des guerres intestines et les incertitudes liées à la crise sanitaire, défraie la chronique : LVMH versus Tiffany, Veolia contre Suez, Unibail et une poignée d’actionnaires activistes qui veulent imposer un virage à 180 degrés à la Direction. En cause ? Deux stratégies, diamétralement opposées, pour surmonter les conséquences de la crise du Covid, ayant entraîné la fermeture de la quasi-intégralité des commerces non essentiels. Parmi les frondeurs, l’ex-président d’Unibail Guillaume Poitrinal qui semble renier une stratégie qui a pourtant fait ses preuves… sous sa présidence.
Voici venu le temps des grandes manœuvres à la Bourse de Paris. « Les batailles homériques entre groupes français ne sont pas nouvelles (…). Mais d’habitude, les acteurs se montraient bien élevés en public, même s’ils utilisent des méthodes de barbouzes en coulisses. Depuis la rentrée, les digues sont tombées » expliquait dernièrement un connaisseur du dossier au Figaro. Dernier exemple en date : la fronde menée par quelques actionnaires pour déstabiliser le directoire d’Unibail Rodamco Westfield afin d’imposer une nouvelle stratégie.
Christophe Cuvillier : « Réduire l’incertitude par une action immédiate »
D’un côté, le directoire d’Unibail Rodamco Westfield, 1er groupe mondial d’immobilier commercial, cherche à entériner son activité anglo-saxonne (le rachat de Westfield) et créer un « géant des complexes commerciaux« , composé de grands centres commerciaux de divertissement, pour proposer une véritable alternative au commerce en ligne. De l’autre, des frondeurs souhaitent remettre en question le rachat de Westfield et recentrer les activités du groupe sur l’Europe.
Les premiers défendent le plan « Reset », qui nécessite une recapitalisation immédiate de 3,5 milliards d’euros, à même de renforcer significativement le bilan du groupe dans un environnement incertain. Les seconds, qui détiennent 5 % du capital, préconisent le plan « Refocus », qui consiste à attendre quelques mois en misant sur une hypothétique amélioration des conditions du marché, afin de revendre ce que le groupe a acheté il y a trois ans.
Au sein de cette fronde, une convergence d’intérêts : Léon Bressler, ancien président d’Unibail Rodamco Westfield qui avoue avoir « un lien émotionnel fort avec cette société« , l’incontournable fondateur de Free Xavier Niel connu pour ses gros coups, et la femme d’affaires espagnole Susana Gallardo. Plus étonnant, au sein de ce consortium, est le soutien de Guillaume Poitrinal, ancien numéro un du groupe et fils spirituel de Bressler, qui, il y a une douzaine d’années, fit peu ou prou, les mêmes choix stratégiques que l’actuel président du directoire Christophe Cuvillier.
Face à la crise, maintenir le cap et poursuivre la politique de rachat
Car Unibail Rodamco Westfield n’en est pas à sa première crise financière, et fut capable, à l’époque des subprimes, de surmonter les aléas financiers grâce à une politique continue d’acquisitions. En son temps, Guillaume Poitrinal, président du directoire d’Unibail, racheta Rodamco en 2007, ce qui, sur le moment, affola les marchés financiers. Une stratégie finalement payante, qui lui permis d’affirmer que la crise de 2008 fut, selon ses termes, génératrice d’ « opportunités de croissance externe pour Unibail-Rodamco« . Le groupe put traverser les turbulences financières grâce à un réseau de « très gros centres commerciaux, localisés dans de grandes agglomérations plutôt moins touchées par la crise que les autres. »
Après avoir quitté la direction du groupe, Guillaume Poitrinal créait en 2013 une entreprise de promotion immobilière spécialisée dans le bois, Woodeum, ainsi qu’un fonds d’investissement, Icamap, pensé « pour aider des sociétés immobilières à croître et les aider dans des périodes de transformation« .
Opportunisme et court-termisme
Celui qui dit être actionnaire minoritaire dans Unibail mais affirme ne pas avoir d’ « intérêts financiers » aurait-il un esprit de revanche, après sept ans d’absence au sein du directoire ? Sur le plateau de BFM, Guillaume Poitrinal s’en défend et tente de justifier le changement de cap prôné par les activistes, misant sur un « boum des consommations » post-covid, et évoquant un « lien émotionnel et sensuel avec le produit » des consommateurs des centres-commerciaux, sans toutefois convaincre.
Face à nombre d’incertitudes concernant une hypothétique reprise – les rumeurs allant bon train d’une extension du couvre-feu et d’un possible confinement les week-ends pour les grandes métropoles françaises, l’alternative proposée par le consortium d’actionnaires interroge. « M. Bressler a investi deux ans après l’acquisition de Westfield en toute connaissance de cause, c’est donc qu’il croyait à une revalorisation qui avait démarré et a été interrompue par la crise du Covid, résume Christophe Cuvillier. Le comportement de M. Niel est sans doute plus opportuniste et court-termiste. »
Consolidation des acquis ou politique de la table rase ? Rendez-vous est pris le 10 novembre prochain à la prochaine Assemblée Générale du groupe.