Depuis quelques années, les projets de transport en commun s’accumulent dans les territoires ultramarins. Mais à l’image du TCSP en Martinique ou du STIR à la Réunion, ces derniers sont bloqués en fin de course par des considérations politiciennes qui heurtent l’intérêt général.
L’égalité réelle entre la Métropole et les territoires ultramarins est un sujet chaud. Depuis l’adoption le 14 février 2017 de la loi pour l’égalité réelle en Outre-mer, les retards de développement sont au cœur des discussions.
Premier point majeur de développement : le développement d’infrastructures de transport en commun, qui manquent sévèrement aux territoires. Loin d’être anecdotique, la mise en place d’une mobilité accessible et durable dans les îles est en fait centrale. Car un réseau efficace de transports publics, dans des territoires marqués par des embouteillages récurrents et un parc automobile par habitant en moyenne supérieur ou égal à celui de l’Île-de-France, n’est pas seulement générateur de valeurs : il est également salvateur sur le plan économique et écologique.
Le transport est en effet ce que l’on appelle un bien de consommation intermédiaire : l’activité, gourmande en capitaux (production de transport, infrastructures, emplois), est en effet rarement demandée en soi et pour soi. Au contraire, elle est le socle sur lequel se greffent d’autres activités économiques, elles-mêmes génératrices de valeur : tourisme, loisirs, activité professionnelle, achats quotidiens.
À cela s’ajoute des gains écologiques indéniables : réduction de la pollution et réduction des émissions carbone pour ne citer que ceux-là. Hélas, malgré les retombées économiques avérées apportées par des réseaux de transport, tout travail de modernisation dans les Outre-mer fait invariablement l’objet de levées de boucliers politiques.
À la Réunion, l’émergence d’un transport multimodal miné par les luttes intestines
L’un des exemples les plus marquants de cet immobilisme était celui du Transport collectif en site propre de la Martinique, qui proposait un service de tramways dans l’île. Il aura fallu plus de vingt ans à un projet pensé dans les années 90, sur fond de rivalités politiques entre le parti du PPM et le MIM. Le projet aura finalement vu le jour en août 2018, après que des révélations du Canard enchaîné ont mis la pression sur le président de la Collectivité Territoriale de la Martinique.
D’un océan à l’autre, les mêmes causes produisent cependant les mêmes effets. À la Réunion, des rivalités politiques autour d’un projet, le STIR (Service de transports intelligents), semblent également mettre en péril l’intérêt général.
Le projet, attribuée au groupement Ixxi/Parkeon envisage la mise en place d’un système de billettique unifiée afin de favoriser une déclinaison multimodale incluant six réseaux urbains et périurbains (Car Jaune, Alterneo, Citalis, Kar’ouest, Car Sud et Estival). L’idée étant de développer davantage le « Mobility As A service » et de faciliter le passage d’un exploitant à l’autre.
Malgré un accueil favorable, le projet reste étonnamment bloqué depuis qu’une crise de gouvernance a éclaté au sein du Syndicat mixte des transports de la Réunion (SMTR). Le projet STIR, porté par le président du SMTR Alix Galbois a ainsi été dénoncé par les autres membres du syndicat mixte, à la surprise générale et sur des bases juridiques floues. Fabienne Couapel-Sauret, la vice-présidente du syndicat, appelle aujourd’hui à la démission d’Alix Galbois, dans un climat délétère.
Derrière cette décision, l’ombre de Transdev ?
Les raisons qui entourent ce refus sont plutôt troubles. Officiellement, Fabienne Couapel-Sauret dénonce « un système obsolète, qui coûte cher et dont personne ne veut ». Un système pourtant adoubé par les Ministères du transport et des Outre-mer, qui dispose également du soutien de l’Agence Française de Développement à hauteur de dix millions d’euros. Comble de l’ironie, le projet STIR a été validé par un audit financier et juridique lancé… par le SMTR lui-même.
Officieusement, la piste du règlement de comptes politiques est mise en avant. Les regards se tournent également vers Transdev Outre-mer, première bénéficiaire de la situation de monopole du transport en commun. Transdev exploite en effet, par le biais de filiales ou de SEM (société économies mixtes), l’intégralité des six réseaux urbains dont le STIR entendait fusionner la billetterie.
Sur les six réseaux concernés, Transdev opère en monopole. Cette situation d’hégémonie qui prend la forme de participation de capital au sein de Sociétés d’Économies Mixtes lui donne un pouvoir redoutable et une influence majeure sur l’île. Le Journal de l’Île de la Réunion qualifiait, début septembre, la filiale du groupe français « d’interface influente auprès des collectivités », expliquant « qu’il ne fait pas bon de parler à la presse ni aux présidents des collectivités, à qui Transdev apporte seul la bonne parole ».
Depuis 2017, Transdev connait des démêlés judiciaires après qu’un entrepreneur a déposé une plainte à l’autorité de la concurrence pour abus de position dominante. « La présence des groupes TRANSDEV, MOOLAND et FONTAINE dans toutes les SEM et les marchés de transport public de la Réunion laisse à penser que des actions d’ententes sont nécessairement intervenues entre ses sociétés pour obtenir cette situation de domination, conduisant à l’exclusion des autres transporteurs dans l’accès à ces marchés de délégations de service public, notamment CASUD, TCO et CIVIS » expliquait l’avocat de ce dernier.
CASUD, TCO et CIVIS : trois des réseaux urbains concernés par le STIR et sur lesquels Transdev opère par filières interposées. Une hégémonie qui pourrait toutefois s’arrêter si la région Réunion choisissait de siffler la fin des hostilités sur le dossier STIR. Encore faudrait-il que le président de région Didier Robert, en politique averti, aille dans le sens de l’intérêt général…