Bouleversant notre appréhension temporelle et spatiale de la ville, la crise sanitaire invite à repenser l’espace urbain. Bâtiments, déplacements, vie de quartier… : tout est à réinventer pour faire face aux défis qui s’annoncent.
Rues désertées, trafic routier oublié, activités économiques à l’arrêt, animaux sauvages en goguette dans les centres-villes… S’ils ont mis les sociétés humaines à rude épreuve, la crise sanitaire et le confinement ont accordé une « pause » aussi inattendue que salvatrice à la planète. Cet épisode, aussi bref qu’il fut, a également permis une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial. L’année 2020 serait ainsi la première permettant de respecter, à terme, l’Accord de Paris. A condition que les émissions de GES diminuent chaque année de 7,6% selon un rapport de l’Organisation des Nation Unies. Si le déconfinement est propice aux réflexions sur ce à quoi pourrait ressembler la « ville de demain », des dynamiques importantes sont d’ores et déjà à l’oeuvre, promettant des espaces urbains plus durables et agréables à vivre.
Vers une ville « post-béton »
Un « âge post-béton » : pour le philosophe et urbaniste Thierry Paquot, la crise du coronavirus a porté un coup fatal à la « ville productiviste conçue pour un individu masculin en bonne santé, solvable et actif ». Critiquant « les diverses modalités actuelles de l’urbanisation » qui participent, selon lui, « au dérèglement climatique et déséquilibrent de nombreux écosystèmes en une spirale devenue infernale », le spécialiste estime que « les villes actuelles doivent être repensées », en commençant par les matériaux de construction. La paille, le chanvre, le bois ou encore la terre cuite constituent pour Thierry Paquot autant d’alternatives au béton, moins adapté selon lui aux fortes variations climatiques et aux canicules. L’urbaniste recommande aussi de miser sur des appartements traversants qui permettent une meilleure ventilation naturelle et donc un moindre recours à l’air conditionné, très émetteur de CO2.
Vers un parc de bâtiments neutres en carbone grâce à la RE2020
Diminuer l’impact carbone des bâtiments, poursuivre l’amélioration de leur performance énergétique et en garantir la fraîcheur pendant les étés caniculaires sont justement les objectifs de la future réglementation environnementale des bâtiments neufs. Une révolution qui permettra de lutter contre le changement climatique et de s’y adapter. « Il ne s’agira pas seulement d’une nouvelle appellation mais bel et bien d’un changement de paradigme, explique Nicolas Doré, chef de service adjoint du service Bâtiment de l’ADEME. En effet, en ligne avec les engagements de la stratégie nationale bas carbone adoptée en 2015, la future réglementation portera également sur la performance carbone des bâtiments, là où la RT concernait essentiellement la performance énergétique. ». « Cette approche est pionnière en Europe et ouvrira de nouvelles perspectives en matière d’économie circulaire et d’écoconception », abonde Nicolas Doré.
Pour réduire l’impact carbone du secteur, la RE2020 incitera des modes de construction émettant peu de GES et encouragera les sources d’énergie décarbonées : adieu les énergies fossiles, bienvenue à la pompe à chaleur, au chauffage électrique performant et aux réseaux de chaleur à base d’énergies renouvelables ou de récupération. Pour Laurent Morel, de l’Institut français pour la performance du bâtiment (IFPEB), la « crise sanitaire va renforcer la volonté des acteurs de la fabrique de la ville à préparer collectivement les transformations nécessaires pour faire face à la crise climatique. Nous devons commencer par scénariser nos futurs. Viendra ensuite le temps de l’implémentation. Pour ce faire, nous disposons déjà des outils réglementaires (…) avec les SCOT, PLUI (…) et la future RE2020 » – RE2020 qui permettra aussi de garantir un meilleur confort d’été, en renforçant l’isolation des bâtiments.
Vers des mobilités plus douces
Qui dit ville, dit voitures, pollution, embouteillages. L’après-Covid-19 sera donc synonyme de mobilités plus douces, la période de confinement ayant encore davantage popularisé le recours au vélo ou à la trottinette, incarnation de la micro-mobilité électrique. Mais la crainte du virus pourrait également encourager un report massif des transports en commun, jugés peu hygiéniques, vers la voiture individuelle. Il faut donc saluer les mesures de soutien au véhicule électrique et aux vélos dévoilées par le gouvernement, tout comme les efforts réalisés par les entreprises pour favoriser des déplacements plus « verts » de leurs salariés et le télétravail. « Cette période de déconfinement est l’occasion (…) de repenser nos déplacements en ville, abonde Marie Chéron, de la Fondation Nicolas Hulot. (Le confinement a) montré les bienfaits de la réduction du trafic automobile dans les villes. Sur le bruit, sur la pollution, mais aussi sur la qualité de la vie de proximité ».
Vers une meilleure répartition urbaine
Ce retour de la proximité est sans doute l’un des principaux effets du confinement, qui a mis en lumière la nécessité, pour les citadins, de bénéficier d’espaces publics de taille suffisante et de coins de nature. « L’importance de l’espace public, c’est de pouvoir y être sans le saturer », explique Carlos Moreno, de l’Université Panthéon Sorbonne. Pour Thierry Paquot, la crise du Coronavirus questionne quant à elle notre rapport aux espaces publics : « rarement amènes : les bancs sont démontés pour éviter le rassemblement de deux ou trois sans abri ; les voitures se garent sur le trottoir au grand dam des arbres qui en souffrent ; les toilettes publiques sont quasi-inexistantes ; les trottinettes, les rollers, les cyclistes empruntent les trottoirs et gênent les piétons. Les enfants n’osent plus jouer dans la rue et sont accompagnés pour aller à l’école ». L’urbaniste plaide a contrario pour une meilleure répartition en milieu urbain, adaptée aux enfants, aux adultes mais aussi… aux animaux : « Les écoles et autres lieux publics devraient avoir des poulaillers, des moutons pour tondre les pelouses, des ruches, des chevaux…».