Alors que la mainmise d’Airbnb sur le marché locatif parisien ne cesse de prospérer avec les dérives qui en découlent, la municipalité tente de contrecarrer une menace bel et bien réelle sur l’industrie hôtelière et l’identité même de la capitale.
Cityramag s’est donc tourné vers une personnalité politique avisée de la Ville Lumière pour faire le point sur ce dossier : Danielle Simonnet, proche de Jean-Luc Mélenchon, cadre et oratrice nationale de la France insoumise, élue du 20 ème arrondissement, coordinatrice du Parti de Gauche et conseillère de Paris.
Cityramag : Danielle Simonnet, pour commencer, que vous inspire l’impact d’Airbnb sur le quotidien des Parisiens, dont la vie de quartier semble dénaturée par l’afflux massif de touristes ?
Danielle Simonnet : On parle ici d’un système réellement gangrené qui partait pourtant d’un postulat simple. A savoir, une plateforme qui offrait la possibilité à des particuliers de louer un lit ou une chambre occasionnellement. J’insiste bien sur le terme occasionnellement. Or la réalité s’éloigne totalement de cet aspect. Aujourd’hui, on assiste de plus en plus à la multiplication de propriétaires qui surfent sur la vague d’une législation trop permissive.
Conséquence : cet état de fait renforce la rareté locative à Paris (et ailleurs) et alimente de facto la spéculation immobilière. La vie de quartier s’en trouve ainsi totalement perturbée puisque des zones entières sont vidées de leurs habitants sept jours sur sept, douze mois sur douze. Ajoutez à cela l’ensemble des désagréments liés au bruit et aux éventuelles dégradations, et vous obtenez une note bien salée. Il faut aussi prendre en compte la mort progressive des petits commerces qui perdent leur clientèle habituelle.
Cityramag : Justement, le législateur ne devrait pas contraindre les propriétaires à recevoir l’autorisation des copropriétés pour pouvoir louer leur bien sur les plateformes type Airbnb ?
Danielle Simonnet : Non je ne crois qu’il s’agisse d’une solution efficace. Il faut aller beaucoup loin et engager la responsabilité des structures qui dérégulent le marché et s’enrichissent massivement avec le système de commission mis en place.
« Airbnb est en train de tuer l’hostellerie »
Cityramag : Faut-il donc repenser le plafond maximum légal de 120 nuitées annuelles autorisé à la location pour chaque propriétaire ? D’autre part, ce ne serait pas plus efficace que les municipalités puissent décider de cela à la place de l’Etat, à l’image de Londres ou New York ?
Danielle Simonnet : Absolument, Airbnb est en train de tuer l’hostellerie. 120 nuitées, c’est déjà beaucoup trop. Je pense qu’un plafond limité à 60 serait beaucoup plus viable. Il est également nécessaire que les résidences secondaires soient « logées » à la même enseigne afin d’éviter que certains ne dépassent pas les bornes en usurpant une étiquette qui n’est pas la leur.
Quant aux villes décisionnaires sur ce point, je suis contre car cela porterait atteinte au principe même du droit au logement en leur offrant trop de latitudes. Des discriminations pourraient donc apparaître, par exemple, en ce qui concerne les logements sociaux. Par contre, il est indispensable qu’un encadrement national dédié, qui s’applique à tous et partout, naisse au plus vite.
« Le législateur doit frapper vite et fort »
Cityramag : Trouvez-vous normal qu’Airbnb ne soit pas légalement obligé de faire appliquer ce plafond et qu’il ne s’engage « gracieusement » à le faire que dans quatre arrondissements de la capitale ? Parallèlement, la mise en place par Paris d’un numéro d’enregistrement obligatoire pour tout loueur disposant d’un meublé est-elle réellement suffisante pur combler ce vide ?
Danielle Simonnet : C’est une hérésie, je ne vois pas d’autre qualificatif. Il y a 20 arrondissements à Paris, cette limitation ne doit pas être appliquée à la carte par Airbnb qui informe ses utilisateurs, mais ne fait rien de son côté. Le législateur doit frapper vite et fort et obliger les plateformes à déclarer annuellement l’ensemble des transactions qui découlent de ce business complètement disproportionné. Sinon, les contrôles continueront d’être insuffisants et l’économie souterraine fleurira de plus belle. Il faut par ailleurs augmenter sensiblement le nombre d’agents à Paris afin de garder la main sur ce dossier (seulement 25 actuellement).
En ce qui concerne l’entrée en vigueur (depuis le 1er décembre) d’un enregistrement en mairie pour toute personne souhaitant louer son logement meublé dans la capitale, c’est le minimum syndical. Toutefois, cette obligation ne comblera pas à elle seule l’ensemble de ces dérives, c’est certain.
« Airbnb a pignon sur rue »
Cityramag : La fiscalité à laquelle sont soumis les loueurs et Airbnb doit-elle être totalement repensée ?
Danielle Simonnet : En effet, je ne vois pas d’autres alternatives. Le fait que les loueurs puissent opter pour le régime micro-BIC (recettes annuelles inférieures à 33 200 euros) démontre que le gouvernement pousse encore et toujours les gens vers la précarité, vers les petits revenus, socles d’une situation très instable. Dans le même temps, ces derniers devraient être amenés à respecter une procédure préalable d’agrément pour ne pas faire de l’ombre à un marché déjà bien sinistré.
Quant à Airbnb, il a pignon sur rue puisqu’une grande partie de son chiffre d’affaires transite par des sociétés off-shore qui échappent aux rentrées fiscales hexagonales. Cette plateforme grandit donc en toute quiétude et finira par anéantir la profession hôtelière; un secteur qui, je le rappelle, et soumis à la sournoise pratique des commentaires de concurrents malintentionnés. Une plateforme publique nationale de contrôle de ces avis, co-administrée par les acteurs de la profession, est donc indispensable pour éviter la sortie de route. Il ne faut pas se leurrer, l’Etat laisse fructifier ce système de rente et ferme les yeux.
Cityramag : En ce qui concerne l’évasion fiscale, la carte de crédit, Payoneer, mise en place par la plateforme pour permettre aux loueurs d’échapper au Fisc fait actuellement débat. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Danielle Simonnet : Airbnb devrait être poursuivi pour incitation à la fraude fiscale depuis sa communication sur la carte bleue permettant à ses clients d’échapper à l’impôt. Si la majorité parlementaire avait adopté les amendements des député(e)s FI en la matière, cela aurait été possible !
« L’Etat nourrit encore et encore ces grosses mafias légales »
Cityramag : Vous êtes particulièrement remontée contre la politique d’Emmanuel Macron envers les GAFAS. Vous ne le sentez pas capable d’inverser la tendance ?
Danielle Simonnet : Il est clair que ce gouvernement ne fera jamais rien pour annihiler la voracité de ces monstres de l’économie. E. Macron est à la base d’un système ultra-libéral. Il a largement fait ses preuves au ministère de l’Economie sous François Hollande. Il a également rédigé en 2008 le rapport Attali, dont l’orientation principale est de rebattre les cartes d’un marché du travail toujours plus flexible.
Macron est tout bonnement l’un des instigateurs de la déréglementation des professions réglementées. Il est donc utopique de croire qu’un changement est possible dans cette logique prédatrice. La morale est ainsi faite : l’Etat nourrit encore et encore ces grosses mafias légales. On est en train d’accélérer la disparition des petits hôteliers.
Propos recueillis par Mathieu Portogallo