L’extraordinaire croissance démographique africaine est absorbée aux deux tiers par les villes. Une urbanisation accélérée qui est à l’origine de nombreux problèmes, mais qui peut également être source de développement économique et humain, à condition d’être correctement appréhendée par les pouvoirs publics. Cette prise de conscience a d’ores et déjà eu lieu dans certains pays tels que la Côte d’Ivoire.
Une explosion urbaine à l’échelle d’un continent
Le 19 juin dernier, le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) se réunissait à Paris pour débattre des défis posés par l’urbanisation galopante de l’Afrique. La population urbaine du continent noir a été multipliée par deux en 20 ans et devrait encore doubler d’ici 2040 pour atteindre 1 milliard d’individus. L’Afrique sera alors à majorité urbaine, un cap franchi par la Chine en 2011 et par la France près d’un siècle auparavant.
Cette urbanisation est deux fois plus rapide que celle qui a eu lieu en Europe et ne répond pas au même schéma : alors que sur le Vieux Continent c’est l’exode rural qui est venu nourrir la croissance des villes, en Afrique c’est au contraire la faiblesse de cet exode rural couplé à une forte croissance démographique qui entraîne la naissance de villes nouvelles dans les campagnes. Comme l’explique le directeur du CSAO Laurant Bossard, au Niger « la population des villages augmente tellement vite qu’ils se transforment en villes », à tel point que six ou sept municipalités de plus de 10 000 habitants y apparaissent chaque année.
Faute de planification urbaine, les villes s’étalent et prennent le plus souvent la forme de bidonvilles où vivent plus de 60 % de la population urbaine africaine et où s’accumulent les problèmes : pénuries d’eau, manque d’accès à l’électricité, absence de systèmes d’assainissement, congestion des transports et forte pollution de l’air due entre autres à la combustion des ordures aux véhicules vétustes.
Les villes africaines font et devront faire face à des défis sociaux et environnementaux sans précédent, encore aggravés par le fait que sept des dix pays les plus vulnérables au réchauffement climatique sont africains. Néanmoins, les pouvoirs publics peinent souvent à apporter les réponses adéquates, et pour cause : l’urbanisation a été longtemps sous-estimée en Afrique, l’ONU ne recensant que les villes de plus de 300 000 habitants alors que 97 % des cités africaines comptent entre 10 000 et 300 000 habitants. Néanmoins, le CSAO produit depuis 2013 une base de données géospatiale dénommée Africapolis afin d’obtenir une image plus fidèle de l’urbanisation en Afrique : Africapolis répertorie ainsi plus de 7500 villes contre 225 dans les statistiques internationales, et indique par exemple que la ville d’Onitsha au Nigéria compte 8,5 millions d’habitants et non 1 million comme l’affirment les autorités locales.
L’Afrique semble donc ouvrir les yeux sur les titanesques enjeux de son urbanisation. Elle a par exemple été le seul continent à proposer une contribution unique au nouvel agenda urbain des Nations unies en 2016 et l’ancien maire de Johannesburg Mpho Parks Tau a été nommé à la tête des Cités et Gouvernements locaux unis (CGLU), une organisation qui regroupe des villes et des associations locales de 136 pays.
La Côte d’Ivoire reprend la ville en main
La situation est donc loin d’être rose, mais certains pays semblent plus volontaires que d’autres pour faire face à ce défi majeur du 21e siècle que représente la ville africaine.
C’est dans cette optique que s’est tenu du 12 au 14 juin dernier à Abidjan un séminaire sur la Politique de la ville en Côte d’Ivoire. Durant ces deux jours, le Département Infrastructure et développement urbain de la Banque africaine de développement s’est joint à des experts du monde politique, de la finance et de l’urbanisme. Durant la session inaugurale du séminaire intitulée « Enjeux internationaux et villes africaines », l’ancien directeur du FMI Dominique Strauss Kahn a, en tant qu’invité d’honneur, tracé les grands axes qui feront le succès des villes africaines : la formalisation des marchés fonciers permettant une planification urbaine plus structurée ; une politique d’investissements dans un modèle intégrant les enjeux environnementaux ; et le développement de villes secondaires de l’hinterland interconnectées.
Une logique de décentralisation particulièrement importante en Côte d’Ivoire, où Abidjan concentre 80 % de l’activité économique et la majeure partie de la croissance du pays, avec les problèmes qui en découlent. C’est la raison pour laquelle le huitième rapport de la Banque mondiale sur la situation économique de la Côte d’Ivoire – remis en février et intitulé « Que la route soit bonne » – encourage lui aussi le développement des villes secondaire tout en insistant sur la nécessité d’améliorer la mobilité urbaine à Abidjan. Dans la capitale économique ivoirienne, 1,2 million de ménages perdent chaque jour deux cents minutes de temps de travail dans les transports et dépensent chaque année 376 milliards de francs CFA (573 millions d’euros) pour se déplacer. Un coût qui ampute de 30 % le budget des ménages les plus modestes. Les embouteillages monstres dont est victime Abidjan sont imputables à la concentration des emplois dans les quartiers du Plateau et de Marcory – qui sont éloignés des zones d’habitation – et à l’absence de transports en commun.
Là aussi, le gouvernement ivoirien a réagi : une Autorité organisatrice de la mobilité urbaine (Aomu), a été créée en janvier et doit chapeauter les ministères, les communes et les districts afin d’en finir avec « l’absence notoire de coordination entre les différents acteurs du secteur urbain, tant au niveau national qu’au niveau local », selon les recommandations du rapport de la Banque mondiale.
Si elle est maîtrisée, l’urbanisation sera un levier durable de la croissance ivoirienne, qui est d’ores et déjà une des plus fortes du monde (7,4 % en 2018). Outre l’évidente stimulation du secteur du BTP, l’urbanisation est une opportunité d’amélioration de la productivité des travailleurs ivoiriens (qui n’a en moyenne pas augmenté depuis 1995) par la formation : le taux de scolarisation dans le premier cycle du secondaire est de 78 % dans les villes et de 11 % dans les campagnes. L’urbanisation est également une voix vers l’élévation du niveau de vie (le taux de pauvreté est de 23 % à Abidjan et de 57 % en zone rurale), mais aussi vers une maîtrise de la croissance démographique : une citadine, qui a davantage accès à l’éducation et à la santé, aura tendance à se marier plus tardivement et à avoir moins d’enfants qu’une femme isolée dans le monde rural.
Alors que revenu national ivoirien s’est accru de 80 % entre 2012 et 2015, une nécessaire répartition des fruits de cette croissance ne peut se faire que par un développement plus homogène du territoire. C’est à ce défi que se sont attelées les autorités ivoiriennes.